Comment Sarkozy a effacé la trahison de la Constitution française
19/10/2025 – Par Nicolas Philippe Granget
En février 2007, à la veille de son accession à l’Élysée, Nicolas Sarkozy a discrètement modifié l’un des piliers symboliques de la Constitution française : la possibilité de juger un président pour trahison. Ce changement, passé presque inaperçu dans un climat de campagne électorale et de saturation médiatique, marque pourtant un tournant historique. Il transforme la fonction présidentielle en un bastion d’immunité, presque sacré, où la notion même de “trahison de la Nation” disparaît du droit français.Avant cette révision, l’article 68 de la Constitution était clair : « Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. » Cette phrase, héritée de l’esprit gaullien, affirmait un principe moral aussi fort que symbolique : celui qu’un chef d’État pouvait être jugé pour avoir trahi la Nation, pour avoir renié ses intérêts, ou pour avoir pactisé avec des forces étrangères au détriment du peuple français.Mais le 23 février 2007, la loi constitutionnelle n°2007-238, adoptée sous l’impulsion de la majorité UMP, efface ce mot lourd de sens : “haute trahison” disparaît, remplacé par une formule anodine, presque bureaucratique — “manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat”. Une pirouette sémantique qui change tout.Derrière ce remaniement de vocabulaire, se cache une opération politique de grande envergure : neutraliser le risque de mise en cause d’un président pour ses actes les plus graves. En supprimant la “trahison”, Sarkozy et ses alliés ont vidé la Constitution de sa charge morale. La République n’a plus de traître possible. Le mot même, devenu gênant, est effacé du texte fondamental. Le chef de l’État n’est plus un homme responsable devant la Nation, mais un gestionnaire de mandat temporaire, redevable seulement d’une “Haute Cour” composée… de parlementaires à sa dévotion.Pour justifier cette réforme, la droite invoqua la “modernisation” et l’“alignement sur les démocraties modernes”. En réalité, c’est tout l’inverse : les États-Unis maintiennent la notion d’impeachment pour “trahison, corruption ou autres crimes majeurs”. En France, le Président, depuis 2007, ne peut être destitué que par un vote parlementaire d’une lourdeur telle qu’elle le rend pratiquement impossible. Aucun chef d’État n’a jamais été inquiété par cette procédure. L’immunité présidentielle est donc devenue, de fait, quasi absolue.Cette réforme n’était pas un hasard : elle préparait un temps nouveau, celui du pouvoir hyperprésidentiel, où l’État devient un instrument personnel. Nicolas Sarkozy avait déjà une vision monarchique de la fonction. “J’assume pleinement la rupture”, répétait-il en 2007. Et quelle rupture : celle d’un président désormais hors d’atteinte morale, pouvant engager la France dans des guerres, signer des traités contraires à la souveraineté nationale, ou soumettre la politique économique du pays à Bruxelles, sans jamais craindre d’être qualifié de traître.C’est à cette époque, rappelons-le, que furent signés les premiers transferts de souveraineté majeurs à l’Union européenne, notamment avec le Traité de Lisbonne en 2008, imposé malgré le “non” du peuple français au référendum de 2005. Trahison ? Le mot n’existe plus dans la Constitution. Le hasard fait bien les choses.Certains constitutionnalistes, comme Dominique Rousseau (Université Paris 1) ou Didier Maus, ont dénoncé cette dérive. Rousseau parlait d’un “effacement du contrôle moral sur le Président”. Maus rappelait que la “haute trahison” était une notion politique avant d’être juridique, permettant de sanctionner un comportement contraire à l’esprit de la République. Mais leurs alertes sont restées lettre morte. La réforme fut adoptée par 750 parlementaires réunis en Congrès à Versailles, dans une quasi-indifférence médiatique. Quelques semaines plus tard, Nicolas Sarkozy s’installait à l’Élysée.Ce changement constitutionnel résume à lui seul la philosophie du sarkozysme : un pouvoir fort, protégé, verrouillé, où la responsabilité politique est remplacée par la communication, et la morale par le cynisme d’État. En supprimant la trahison, Sarkozy a supprimé le miroir dans lequel le pouvoir devait se regarder.Dès lors, comment s’étonner que les successeurs aient poursuivi sur cette lancée ? François Hollande, Emmanuel Macron, même réflexe : présidents protégés, décisions imposées sans consultation populaire, 49.3 à répétition, et un peuple écarté de toute souveraineté réelle. Le crime de trahison a disparu, mais la trahison, elle, s’est institutionnalisée.Cette réforme de 2007 n’a pas seulement modifié un article. Elle a effacé une idée : celle qu’un président doit rendre des comptes à la Nation avant de rendre des comptes à ses pairs. En supprimant le mot “traître”, Nicolas Sarkozy a fait plus qu’une réforme juridique — il a redéfini la nature du pouvoir en France. Et c’est précisément cette “ère Sarkozy” que Contre7 va désormais explorer, acte après acte : du blanchiment politique à la diplomatie d’intérêts, en passant par les réseaux d’affaires, les complicités médiatiques et les fidélités croisées.Parce que comprendre Sarkozy, c’est comprendre comment la République française a appris à se trahir… en toute légalité.
Sarkozy, Hollande, Macron : ont-ils trahi la nation ?
Depuis la disparition du mot “trahison” en 2007, les présidents français ont pu agir dans des domaines où, autrefois, l’esprit de la Constitution aurait au moins permis de poser la question morale : celle de la loyauté envers la Nation. Car si l’on appliquait le texte d’avant 2007, plusieurs décisions majeures de Sarkozy, Hollande et Macron pourraient relever de ce que le droit appelait jadis la “ha Lillahute trahison” : c’est-à-dire l’abandon délibéré d’une part de la souveraineté nationale ou la mise en danger des intérêts vitaux de la France.Le premier cas évident est celui du Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007. Deux ans plus tôt, le peuple français avait rejeté par référendum le Traité constitutionnel européen à près de 55 %. Ce refus clair fut purement contourné par Sarkozy, qui fit adopter une version quasi identique par la voie parlementaire. Ce fut, dans les faits, une invalidation du vote populaire, une négation du principe de souveraineté nationale inscrit à l’article 3 de la Constitution. Avant 2007, une telle manœuvre aurait pu être considérée comme un acte de “haute trahison du peuple”, puisqu’elle revenait à renverser par décret la volonté démocratique. Désormais, la notion n’existe plus : le chef de l’État ne peut être accusé que de “manquement à ses devoirs”. Et quel devoir précise la Constitution ? Aucun. Le champ moral a été effacé.Le second acte symbolique est l’intégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009.
En rompant avec la doctrine gaullienne de souveraineté militaire, Sarkozy plaçait la défense nationale sous l’autorité stratégique américaine, rompant soixante ans d’indépendance. Là encore, avant 2007, une telle décision unilatérale, sans consultation populaire, aurait pu être juridiquement assimilée à un acte de trahison au profit d’une puissance étrangère. Charles de Gaulle l’aurait qualifiée ainsi. Aujourd’hui, la France ne décide plus seule ni de ses guerres, ni de ses stratégies, ni même de ses priorités diplomatiques : Washington dicte, Paris exécute.Sous François Hollande, l’héritage de cette immunité morale s’est poursuivi. En 2013, l’intervention militaire en Syrie fut planifiée sans mandat de l’ONU, sur la base d’informations anglo-américaines plus que douteuses, avant d’être suspendue in extremis par Obama. Quelques années plus tard, les révélations d’Edward Snowden (2015) et les rapports de la NSA ont prouvé que la France collaborait activement aux opérations d’espionnage de ses propres alliés européens. En 2015, Hollande autorisait même secrètement des frappes ciblées hors de tout cadre légal, ce que le journaliste Vincent Nouzille documenta dans Erreurs fatales (Fayard, 2017). Ces opérations, menées en dehors de tout contrôle parlementaire, auraient autrefois pu relever de la “trahison des engagements internationaux de la France” et de la violation de la souveraineté d’États tiers.
Aujourd’hui, elles relèvent du “régime normal d’exception”.Sous Emmanuel Macron, la dérive s’est institutionnalisée. L’homme de la banque Rothschild devenu président en 2017 a prolongé la logique du pouvoir désincarné, dépolitisé et inféodé. La signature du Traité d’Aix-la-Chapelle en 2019, qui engage la France et l’Allemagne dans une coordination militaire et diplomatique renforcée, aurait pu — avant 2007 — soulever l’accusation de “haute trahison” par transfert de compétences stratégiques à un autre État.
De même, la ratification du CETA (accord de libre-échange avec le Canada) et la participation active de la France à la politique énergétique européenne ont soumis des pans entiers de notre économie et de notre agriculture aux décisions d’intérêts étrangers et privés. Les agriculteurs français en paient encore le prix, mais le Président, lui, ne rend plus de comptes à la Nation : il “participe à la construction européenne”.Sur le plan sanitary, la gestion de la crise du Covid-19 a révélé un autre visage de cette immunité présidentielle. La France a délégué des pans entiers de sa politique de santé à des laboratoires pharmaceutiques étrangers et à des institutions non élues, en appliquant aveuglément les consignes de l’OMS et de la Commission européenne. Si le mot “trahison” avait encore un sens constitutionnel, on pourrait s’interroger : remettre la santé des Français entre les mains de Pfizer ou de la Commission de Bruxelles, est-ce agir pour la Nation ou pour des intérêts extérieurs ? Mais poser la question devient désormais sans objet, puisque la Constitution, elle, ne le permet plus.La suppression du mot “traître” dans la Constitution a donc eu un effet profond : elle a désarmé moralement le droit. Là où l’esprit de 1958 imposait une fidélité au peuple et à la souveraineté, la réforme de 2007 a instauré une présidence déliée de toute obligation patriotique. Plus aucun garde-fou symbolique ne sépare aujourd’hui l’intérêt de la France de l’intérêt des puissances qui la financent, la surveillent ou la dirigent. Le chef de l’État n’a plus de devoir envers la patrie, seulement des comptes à rendre à ses pairs politiques, c’est-à-dire à personne.C’est pourquoi les décisions de Sarkozy, Hollande ou Macron — qu’il s’agisse de Lisbonne, de l’OTAN, de l’alignement sur les États-Unis, de la soumission à Bruxelles ou du désarmement industriel face à la Chine — partagent un même ADN : celui d’une politique sans responsabilité nationale. Depuis 2007, plus aucun président ne peut être accusé de trahison. Et comme par hasard, c’est à partir de cette date que la France a cessé d’être souveraine.
Qu’en penserait le Général de Gaulle ?
Si le Général de Gaulle avait été vivant, il aurait vu dans cette réforme le symptôme ultime d’une République dévoyée. Lui qui faisait de la souveraineté nationale un principe sacré, aurait considéré la suppression du mot trahison comme une profanation. Car pour lui, gouverner la France, c’était d’abord la servir, et toute atteinte à son indépendance constituait une faute morale majeure. De Gaulle aurait vu dans les choix de Sarkozy — la ratification du Traité de Lisbonne contre la volonté du peuple, le retour dans l’OTAN — une trahison ouverte de l’héritage gaullien. Dans la présidence Hollande, il aurait reconnu la trahison molle du renoncement : celle d’un État qui se couche devant Bruxelles et Washington par habitude ou par peur. Quant à Macron, il aurait vu en lui la trahison technocratique, celle des élites sans patrie, qui parlent de “modernisation” tout en dissolvant la France dans un univers sans frontières.Pour De Gaulle, ces présidents n’auraient pas seulement gouverné autrement — ils auraient rompu le pacte moral qui lie le chef de l’État à la Nation. Et c’est là, précisément, que se trouve le cœur du problème : depuis que le mot traître a disparu de la Constitution, il n’existe plus, dans le droit républicain, aucun moyen de nommer ceux qui trahissent la France autrement que par des euphémismes.
La suppression du mot traître dans la Constitution n’est pas seulement une question juridique : c’est un effacement moral, une réécriture du lien entre le peuple et ceux qui prétendent le représenter. Dans la France d’avant 2007, l’idée de trahison pesait comme une menace sacrée au-dessus des gouvernants. Elle rappelait que le pouvoir n’est pas une propriété, mais un mandat. Qu’un président pouvait être renversé s’il trahissait la Nation, non pas selon des critères techniques, mais selon une idée simple : celle de la fidélité au pays, à son peuple et à son destin.
Ce mot, “trahison”, portait en lui une charge symbolique que le droit ne peut remplacer : la peur de décevoir la France.En l’effaçant, Sarkozy a rompu un pacte invisible. Il a offert au pouvoir un abri moral, un espace sans responsabilité patriotique, où les présidents suivants se sont engouffrés sans vergogne. Depuis, le mot “France” ne se prononce plus qu’en slogan. L’Union européenne, les marchés, l’OTAN, les partenaires économiques ont pris le dessus sur le peuple français, réduit au silence dans les urnes, anesthésié par les décrets et gouverné par ordonnances. Le 49.3, devenu routine, n’est que la traduction institutionnelle de cette trahison légalisée. On ne trahit plus la Nation, on la “réforme”. On ne viole plus la souveraineté, on la “partage”. On ne déserte plus la République, on “modernise l’État”.C’est ainsi que la Cinquième République, née pour protéger la France des coups d’État, a fini par légitimer le coup d’État permanent de ses dirigeants. En rendant le chef de l’État intouchable, la réforme de 2007 a inversé la hiérarchie du droit : désormais, c’est le peuple qui est coupable quand il s’oppose, et le président qui est innocent par définition.
Ce renversement s’est opéré dans un silence assourdissant, sans que la presse, ni les partis, ni les institutions ne s’en émeuvent. L’oubli du mot “trahison” est devenu la pierre angulaire de l’amnésie nationale.Et aujourd’hui, tandis que Nicolas Sarkozy s’apprête à connaître la prison, le paradoxe est total : ce n’est pas pour avoir trahi la France qu’il est jugé, mais pour des histoires d’argent. Ce pays qui a effacé la trahison de son droit fondamental juge les corrupteurs, mais pas les corrupteurs d’idées. Il condamne les crimes financiers, mais pas les crimes politiques. Il punit les mensonges comptables, mais pas les mensonges d’État. La justice, dans cette République, ne protège plus la vérité du peuple, elle protège le pouvoir de ses serviteurs.La disparition du mot traître a eu un effet bien plus grand que prévu : elle a libéré les présidents de toute forme de loyauté.
Depuis 2007, on peut détruire un référendum, livrer la France à l’OTAN, vendre Alstom aux Américains, sacrifier EDF à Bruxelles, imposer un passe sanitaire digne d’un régime totalitaire, et tout cela, sans jamais être accusé de trahison. Parce que ce crime n’existe plus. Parce que le peuple n’a plus de mot pour le dire.Mais un peuple qui n’a plus de mot pour dire la trahison finit toujours par la reconnaître dans les faits. Et le jour où les Français comprendront que leur Constitution a été vidée de son âme, que leurs dirigeants ont rendu légal ce qui autrefois aurait été infâme, alors peut-être que ce mot, traître, renaîtra dans leurs bouches, non plus comme une accusation morale, mais comme un verdict politique.
Car si la République ne sait plus juger ses traîtres, le peuple, lui, n’oublie jamais.