Sarkozy – Kadhafi : du tapis rouge au cercueil de sable

24/10/2025 – Par Nicolas Philippe Granget

Décembre 2007. Paris se couvre de drapeaux libyens. Sous les dorures de la République, Mouammar Kadhafi, “Guide de la Révolution”, plante sa tente bédouine dans les jardins de l’Hôtel de Marigny. Reçu avec les honneurs d’un chef d’État, il serre la main de Nicolas Sarkozy, tout sourire, devant les caméras du monde entier. L’image choque, amuse, intrigue : la France, patrie des droits de l’homme, déroule le tapis rouge à un dictateur arabe.

Mais derrière les sourires et les poignées de main, un pacte secret se noue. Un pacte fait d’argent, d’influence et de promesses — un pacte qui, quatre ans plus tard, se paiera dans le sang.

Octobre 2011. Kadhafi gît dans un fossé de Syrte, le visage déformé, lynché par une foule enragée. Autour de lui, des miliciens soutenus par les bombardements de l’OTAN, dont ceux de la France. Sarkozy ne sourit plus. Le même homme qui l’avait reçu en grande pompe signe à distance son exécution politique et physique. Entre ces deux scènes — le tapis rouge et le cercueil de sable — se joue l’une des plus grandes trahisons diplomatiques de la Ve République.

Car avant d’être l’ennemi à abattre, Kadhafi fut un partenaire stratégique. Il avait financé, selon plusieurs témoins et documents judiciaires, la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Il croyait acheter une amitié, il paya sa vie. L’histoire de leurs relations n’est pas celle d’une alliance rompue, mais d’un contrat mortel : celui qui liait l’homme fort de Tripoli à un président français prêt à tout pour le pouvoir — y compris à trahir ses alliés.

Mais au-delà du scandale politique, cette affaire révèle une logique plus vaste : celle d’un monde où l’on détruit les nations qui refusent de se soumettre. Kadhafi voulait une Afrique libre, unie, monétaire­ment souveraine. Il en est mort. Et depuis sa chute, la Libye n’est plus un État, mais un champ de ruines — car le crime ne s’est pas arrêté à Syrte : il a ouvert une ère de chaos migratoire, de terrorisme et de dépendance énergétique dont l’Europe paie encore le prix.

Ce cinquième et dernier volet de la série Sarkozy et la République trahie revient sur le grand mensonge libyen : celui d’une guerre “humanitaire” qui cachait en réalité un règlement de comptes politique, un pillage économique et une trahison d’État.

De la rivalité à l’alliance : un mariage d’intérêts sous haute tension

Avant de devenir la cible à abattre, Mouammar Kadhafi fut longtemps un adversaire politique, puis un partenaire convoité.

Entre la Libye et la France, les relations ont toujours été une alternance de méfiance, d’intérêts et de jeux d’influence.

Dès 1969, lorsque le jeune capitaine Kadhafi renverse la monarchie du roi Idriss Ier, il annonce la couleur : nationalisation du pétrole, rupture avec les puissances coloniales, fermeture des bases étrangères.

À Paris, cette révolution est perçue comme une menace directe pour la Françafrique.

La Libye n’est plus un pion du jeu occidental, mais un acteur imprévisible, indépendant, capable d’inspirer les mouvements anti-impérialistes dans tout le continent.

Les années 1980 scellent la rivalité : la France de François Mitterrand soutient militairement le Tchad dans la bande d’Aozou, territoire disputé par la Libye.

Les Mirage français affrontent les troupes libyennes dans le désert.

Les deux nations se regardent alors en chiens de faïence, entre provocations et affrontements indirects.

Mais à mesure que Kadhafi consolide son pouvoir et que l’Occident s’enfonce dans ses propres crises, les rapports se normalisent.

En 1999, après des années d’isolement, la Libye réintègre le concert international grâce à la levée des sanctions de l’ONU.

Paris y voit une opportunité : un pays riche, stratégique, au cœur de l’Afrique du Nord et assis sur les plus grandes réserves pétrolières du continent.

Lorsque Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en 2007, l’heure est à la réconciliation.

Le nouvel homme fort de l’Élysée rêve d’une “Union pour la Méditerranée”, projet politique censé unir l’Europe et le monde arabe autour de la prospérité.

Kadhafi, pragmatique, y voit une porte d’entrée pour réaffirmer la place de la Libye sur la scène mondiale.

Le 10 décembre 2007, il foule le sol français pour la première fois depuis trente-quatre ans.

Les contrats pleuvent : 10 milliards d’euros annoncés, dont des ventes d’Airbus, la construction d’une centrale nucléaire par Areva et la modernisation de son arsenal.

La Libye devient soudain un partenaire fréquentable — presque un allié.

Mais derrière les flashes et les discours officiels, les services de renseignement savent que cette lune de miel diplomatique repose sur des échanges bien plus obscurs.

Depuis des mois, selon plusieurs sources judiciaires et des documents publiés plus tard par Mediapart, le clan Kadhafi aurait financé en secret la campagne présidentielle de Sarkozy.

Des valises de billets circulent entre Tripoli et Paris, via Ziad Takieddine, Abdallah Senoussi et Bachir Saleh.

Ce que Kadhafi achète alors, ce n’est pas un contrat commercial : c’est une reconnaissance politique, une promesse de respect mutuel.

Il pense sécuriser sa place, mais signe sans le savoir sa condamnation.

Car dans l’ombre de cette réconciliation officielle, les cercles diplomatiques occidentaux n’ont jamais cessé de voir en Kadhafi une menace.

Menace pour les intérêts pétroliers français et britanniques, pour le contrôle du Sahel, pour le système monétaire du franc CFA et pour la domination du dollar.

Son projet d’union monétaire africaine adossée à l’or — le “dinar africain” — inquiète autant Paris que Washington.

L’homme qui voulait libérer l’Afrique de la dépendance financière s’apprête à défier la Banque mondiale et le FMI sur leur propre terrain.

Autrement dit, il ne menace pas seulement les dictatures, mais l’ordre économique mondial.

Sarkozy, lui, a besoin d’argent, de prestige et d’influence.

Kadhafi, de reconnaissance.

L’un cherche un sponsor, l’autre un allié.

C’est la rencontre de deux cynismes — et la promesse d’un drame.

Car dans ce pacte, il n’y avait jamais d’amitié : seulement un compte à solder.

Kadhafi, l’Africain : le projet qui effrayait l’Occident

Ce que l’Occident appelait “la folie mégalomaniaque” de Kadhafi n’était, en réalité, qu’un projet d’émancipation du continent africain.

Le dirigeant libyen, qui avait longtemps incarné la résistance au néocolonialisme, rêvait d’une Afrique libre, capable de se financer, de commercer et de se défendre sans dépendre ni de Paris, ni de Washington, ni du FMI.

Au tournant des années 2000, fort de ses milliards issus du pétrole, il avait engagé la Libye dans une entreprise titanesque : créer les institutions d’une souveraineté africaine.

Son idée centrale : un dinar or africain, une monnaie commune indexée sur des réserves physiques d’or, détenues par une future Banque centrale africaine basée à Abuja.

Kadhafi voulait que cette monnaie serve aux échanges commerciaux et au paiement du pétrole africain, court-circuitant ainsi le dollar et le franc CFA.

Ce projet, financé par les 143 tonnes d’or et les 143 tonnes d’argent de la Banque centrale libyenne, était déjà prêt à voir le jour.

Un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks (16 mars 2011) le confirme :

“L’or accumulé par Kadhafi pourrait être utilisé pour établir une monnaie panafricaine et constituer une alternative au franc CFA.”

Pour Paris, cette perspective était un séisme.

Le franc CFA, ancré sur le Trésor français, garantit depuis des décennies une rente invisible à la France : contrôle des devises africaines, rapatriement d’intérêts, dépendance économique structurelle.

Un dinar africain adossé à l’or aurait non seulement mis fin à ce système, mais aurait aussi remis en cause la domination du dollar et de l’euro dans les échanges africains.

Autrement dit, il menaçait les deux piliers du Nouvel Ordre mondial économique : la monnaie américaine et le modèle bancaire européen.

Mais Kadhafi ne s’arrêtait pas là.

Il finançait le projet Rascom, premier satellite africain de télécommunications, pour libérer le continent de la dépendance aux réseaux européens.

Il avait contribué à créer l’African Investment Bank, l’African Monetary Fund et l’Union africaine elle-même, dont il rêvait d’être le premier président effectif.

Son discours de Syrte (2009) reste un manifeste contre la soumission :

« L’Afrique doit parler d’une seule voix. L’Afrique doit avoir sa propre monnaie, sa propre armée, sa propre politique. »

Ces paroles, applaudies par certains chefs d’État africains, ont glacé les chancelleries occidentales.

Kadhafi voulait une Afrique indépendante, et cela suffisait à signer son arrêt de mort.

Car en menaçant les fondements économiques du système international, il menaçait directement les intérêts des banques, des multinationales et des puissances européennes, France en tête.

Au même moment, Sarkozy, endetté politiquement et moralement vis-à-vis de Tripoli, devient président du G20 et se fait le champion d’un monde “régulé” sous la tutelle des grandes puissances.

Deux visions s’opposent alors frontalement :

celle d’un monde multipolaire porté par Kadhafi,

et celle d’un monde globalisé et centralisé, incarné par Sarkozy.

Le premier voulait libérer les nations africaines,

le second voulait les intégrer à la gouvernance mondiale.

Et dans ce duel, la France ne choisira pas la souveraineté, mais le marché.

Dès 2010, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni surveillent de près les mouvements financiers de Tripoli.

Les 30 milliards de dollars du fonds souverain libyen — destinés à financer les infrastructures africaines — sont gelés avant même le début de la guerre.

L’année suivante, Kadhafi sera accusé de “crimes contre l’humanité”.

Mais le seul crime qu’il ait réellement commis, c’est d’avoir voulu détruire la dépendance.

Le financement libyen : quand la dette devient un mobile

C’est peut-être l’un des secrets les plus explosifs de la Ve République : la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 aurait été financée, au moins en partie, par le régime de Mouammar Kadhafi.

L’histoire, d’abord reléguée aux marges des médias, a peu à peu émergé, alimentée par des fuites, des témoignages et des documents d’une gravité inouïe.

Et derrière cette affaire, une question qui hante encore la politique française : la guerre de Libye fut-elle menée pour effacer une dette ?

Tout commence avant même l’élection.

Entre 2005 et 2007, alors que Sarkozy est encore ministre de l’Intérieur, les contacts entre ses proches et le clan Kadhafi se multiplient.

Le médiateur Ziad Takieddine, intermédiaire franco-libanais bien connu des milieux politiques, organise plusieurs voyages entre Paris et Tripoli.

Lors d’une rencontre au ministère de l’Intérieur, il présente Claude Guéant et Brice Hortefeux à des responsables libyens de haut rang, dont le chef des services de renseignement, Abdallah Senoussi.

Le lien est scellé : la Libye, longtemps isolée, voit en Sarkozy un futur président “ami” susceptible de réintégrer Kadhafi dans le jeu international.

Selon une note datée du 10 décembre 2006révélée par Mediapart en 2012 et signée par Moussa Koussa, alors chef du renseignement libyen, Tripoli aurait accepté de financer la campagne de Sarkozy à hauteur de 50 millions d’euros.

La somme devait transiter via des circuits parallèles, principalement en espèces, pour contourner les contrôles de la CNCCFP (Commission nationale des comptes de campagne).

Ziad Takieddine affirmera plus tard avoir transporté cinq millions d’euros en liquide entre Tripoli et Paris, dans des valises déposées directement rue du Faubourg-Saint-Honoré, au ministère de l’Intérieur.

Ses déclarations, d’abord discréditées, seront finalement jugées “crédibles” par les juges d’instruction en 2018.

D’autres témoins confirment :

– Bachir Saleh, ancien directeur de cabinet de Kadhafi, devenu par la suite conseiller officieux de Sarkozy, évoque lui aussi des “versements discrets”.

– Abdallah Senoussi, l’ancien chef du renseignement libyen, déclare en 2012 à une chaîne arabe que “Sarkozy doit rendre l’argent qu’il doit à la Libye.”

– Une lettre, datée de 2007, retrouvée dans les archives de l’ancien ministre libyen Choukri Ghanem (mort dans des circonstances suspectes à Vienne en 2012), mentionne explicitement les noms des intermédiaires français impliqués.

Ces éléments convergent : il y a bien eu un flux financier illégal, à un moment où Sarkozy bâtissait sa conquête de l’Élysée.

En 2018, l’ancien président est mis en examen pour “corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens”.

Il devient le premier chef d’État français soupçonné d’avoir été élu grâce à l’argent d’une puissance étrangère.

Ironie tragique : quatre ans après son élection, ce même homme ordonnera les bombardements sur le pays qui l’a financé.

Dès lors, la chronologie parle d’elle-même.

Entre 2007 et 2011, Sarkozy change radicalement de ton vis-à-vis de la Libye.

Le partenaire d’hier devient “le dictateur fou” d’aujourd’hui.

L’allié reçu en grande pompe devient une menace pour la démocratie mondiale.

Mais pourquoi ce revirement soudain ?

Parce que Kadhafi, sûr de lui, se met à parler.

Il affirme publiquement, dans une interview à la télévision suisse en mars 2011 :

« C’est nous qui avons financé la campagne de Sarkozy. Nous avons les preuves et nous les révélerons. »

Quelques semaines plus tard, l’OTAN déclenche ses premières frappes sur Tripoli.

Coïncidence ?

Difficile à croire.

À mesure que les missiles pleuvent, les archives disparaissent, les témoins meurent, et la vérité s’enfouit sous les ruines.

Sarkozy n’avait pas seulement un ennemi politique en Kadhafi, il avait un témoin.

Et dans le monde des puissants, les témoins gênants finissent rarement leurs jours tranquillement.

Le 20 octobre 2011, le Guide libyen est capturé à Syrte, lynché, exécuté à bout portant.

Quelques heures plus tard, Hillary Clinton, alors secrétaire d’État américaine, lâche à la télévision :

« We came, we saw, he died. »

On pourrait ajouter : et la vérité avec lui.

La guerre de 2011 : l’humanisme comme camouflage

En février 2011, la vague des “printemps arabes” gagne la Libye.

Les médias occidentaux parlent de “révolution populaire”, d’un peuple “se soulevant contre la dictature”.

Mais la réalité est plus complexe : des affrontements éclatent à Benghazi, entre forces gouvernementales et groupes armés déjà soutenus par l’étranger.

Le 17 mars, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1973, autorisant une “intervention humanitaire” pour “protéger les civils”.

Officiellement, il s’agit d’empêcher un massacre.

En réalité, le feu vert est donné pour un changement de régime planifié depuis des mois.

La France est la première à dégainer.

Sous l’impulsion directe de Nicolas Sarkozy et de son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, Paris devient le fer de lance d’une coalition regroupant les États-Unis, le Royaume-Uni et plusieurs monarchies du Golfe, dont le Qatar.

Les premières bombes françaises tombent sur Tripoli et Benghazi le 19 mars.

Les Mirage 2000 et les Rafale détruisent les défenses aériennes libyennes, ouvrant la voie aux frappes massives de l’OTAN.

En quelques semaines, la puissance militaire du pays est anéantie.

Mais cette guerre, prétendument “juste”, n’a rien d’humanitaire.

Les “rebelles” libyens, encadrés par des conseillers occidentaux, reçoivent armes, munitions et renseignement de la part de la France et du Qatar.

Les forces spéciales françaises opèrent clandestinement sur le sol libyen pour guider les bombardements.

Sous prétexte de sauver des vies, la coalition détruit un État.

Sarkozy, jadis bénéficiaire des largesses de Kadhafi, devient son bourreau à distance.

Ce renversement brutal a tout d’un effacement de preuves :

le témoin gênant devait disparaître, avec les archives, les comptes, les contrats, et jusqu’à la mémoire de son rôle.

Le 20 octobre 2011, après huit mois de guerre, le cortège de Kadhafi est bombardé près de Syrte.

Capturé vivant, il est lynché, torturé, puis exécuté d’une balle dans la tête.

Les images, insoutenables, font le tour du monde.

Sarkozy et Obama saluent la “libération du peuple libyen”.

Les médias reprennent en chœur : “le tyran est tombé”.

Mais à Tripoli, ce sont les milices islamistes — soutenues par les services occidentaux — qui prennent le pouvoir.

Le pays, autrefois stable et prospère, bascule aussitôt dans le chaos.

Des témoignages d’anciens officiers libyens affirment qu’au moment de sa capture, Kadhafi détenait des documents compromettants prouvant les transferts d’argent vers la France.

Selon l’ancien ministre Moussa Ibrahim, il tentait de négocier sa reddition en échange d’une divulgation de ces preuves.

Quelques heures plus tard, il était mort.

Ni la CPI ni l’ONU n’ont jamais ouvert d’enquête sur les circonstances de son exécution.

La raison est simple : trop de gouvernements avaient intérêt à ce qu’il se taise à jamais.

Pour l’Élysée, la guerre est une victoire.

Elle permet à Sarkozy de redorer son image internationale et de se présenter, en 2012, comme “l’homme qui a fait tomber un dictateur”.

Mais derrière cette vitrine se cache un crime d’État : la destruction délibérée d’un pays souverain pour des raisons politiques et personnelles.

Et ce crime n’est pas sans conséquence.

L’assassinat de Kadhafi n’a pas seulement tué un homme : il a libéré un chaos qui allait ravager toute la région et se retourner contre l’Europe.

Le chaos libyen : l’effet domino d’une trahison

La mort de Kadhafi n’a pas apporté la démocratie, mais l’anarchie.

Depuis 2011, la Libye n’est plus un État : c’est une terre fragmentée, livrée aux milices, aux trafiquants et aux puissances étrangères.

L’intervention occidentale, censée “protéger les civils”, a détruit l’un des pays les plus stables et les plus prospères du continent africain.

Sous Kadhafi, la Libye offrait un niveau de vie supérieur à la moyenne africaine, une santé et une éducation gratuites, un système de redistribution du pétrole, et une stabilité régionale rare.

Dix ans après son assassinat, tout cela n’est plus qu’un souvenir.

Deux gouvernements rivaux se disputent le pouvoir : l’un à Tripoli, soutenu par la Turquie et le Qatar ; l’autre à Benghazi, appuyé par l’Égypte et la Russie.

Les frontières ont disparu, les armes circulent librement, les groupes djihadistes prolifèrent du Sahara au Sahel.

Les arsenaux libyens, pillés après la guerre, ont alimenté la montée d’AQMI, du groupe État islamique et des milices qui ont déstabilisé le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Ce chaos s’est propagé comme un incendie, ravivant les conflits ethniques, effondrant les États, et entraînant toute l’Afrique de l’Ouest dans une spirale de violence.

Sur le plan économique, les conséquences sont tout aussi dévastatrices.

Les 30 milliards de dollars du fonds souverain libyen, destinés à financer des infrastructures africaines, ont été saisis par les États-Unis et l’Union européenne.

L’or de la Libye — plus de 140 tonnes — a disparu sans laisser de trace.

Le pays, autrefois exportateur, dépend désormais des aides humanitaires.

L’“ingérence humanitaire” aura donc produit ce que le colonialisme n’avait jamais osé faire : détruire un État pour sauver un système.

Mais le choc le plus visible, celui que l’Europe continue de subir, est le flux migratoire.

La Libye, verrou stratégique entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne, contenait jusqu’en 2011 les routes migratoires vers la Méditerranée.

Kadhafi contrôlait les frontières au prix d’accords directs avec Rome et Paris.

Depuis sa chute, la Libye est devenue le plus grand marché d’esclaves du XXIe siècle : des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants y sont détenus, torturés, vendus, parfois à quelques dizaines d’euros.

Les images tournées à Tripoli et à Sabha ont fait le tour du monde, sans qu’aucun des responsables occidentaux de cette guerre ne soit inquiété.

Ce qui se joue là n’est pas seulement une tragédie africaine : c’est le miroir de notre hypocrisie.

Car en prétendant sauver des vies, Sarkozy a ouvert une plaie qui n’a jamais guéri.

Il a brisé un pays, semé le chaos sur un continent, et jeté des millions de désespérés sur les routes de l’exil.

Il a, littéralement, exporté la guerre jusqu’à nos côtes.

Et les dirigeants européens, complices de cette aventure, continuent d’en payer le prix politique : montée des populismes, fracture entre peuples et élites, peur permanente de l’effondrement des frontières.

Ce désastre n’est pas un accident : c’est la conséquence directe d’une décision prise à Paris, au nom du “Nouvel ordre mondial” qu’il invoquait deux ans plus tôt.

L’histoire retiendra que le chaos du Sahel, la crise migratoire européenne et l’explosion du terrorisme régional trouvent leur origine dans un ordre donné depuis l’Élysée, au printemps 2011.

Le jour où Kadhafi est mort, une partie de la stabilité mondiale est morte avec lui.

Conclusion : la guerre de Sarkozy contre la vérité

La guerre de Libye n’a pas seulement tué un homme : elle a effacé un témoin, enterré un secret, et légitimé un mensonge.

En moins de dix ans, Nicolas Sarkozy est passé du tapis rouge au sang versé, du discours de la modernité au silence des charniers.

Il a détruit un pays pour sauver sa carrière, au nom d’une morale qu’il avait depuis longtemps vendue.

Et dans cette histoire, la France n’a pas gagné une guerre : elle a perdu son âme.

Kadhafi voulait libérer l’Afrique de la domination occidentale ; Sarkozy voulait libérer l’Occident de sa dette envers Kadhafi.

Le premier rêvait d’un monde multipolaire,

le second servait un monde unique.

L’un parlait de dignité,

l’autre de stratégie.

Et au bout du chemin, l’histoire a tranché :

celui qui a voulu l’indépendance a fini sous les bombes ;

celui qui a ordonné la frappe signe encore des livres.

Mais le temps viendra où les nations compteront leurs morts et leurs mensonges.

Et quand ce jour viendra, la guerre de Libye apparaîtra pour ce qu’elle fut :

le crime parfait d’un président coupable — le crime d’État de la France moderne.