Une nouvelle fusillade à Nice. Deux morts, une ville sous le choc — et des milliers de caméras qui n’ont rien vu venir. Pourtant, Nice est la cité la plus vidéosurveillée de France, la vitrine du “tout-sécuritaire” vantée depuis quinze ans par ses élus. Des caméras à chaque carrefour, des logiciels d’analyse à la pointe, un centre de supervision digne d’un quartier général militaire. Et malgré cela, la violence continue de frapper. Ce drame résonne comme un aveu d’échec : la vidéosurveillance n’empêche pas le crime, elle l’enregistre. Pendant que les effectifs de police diminuent et que la présence humaine disparaît, les machines, elles, prolifèrent. Et si ce dispositif n’avait jamais eu pour but d’assurer notre sécurité, mais plutôt d’assurer les recettes municipales ? Car derrière l’argument de la prévention, c’est une autre réalité qui se cache : celle d’un système pensé pour verbaliser, sanctionner et taxer, bien plus que pour protéger.
Nice revendique depuis des années le statut de ville la plus vidéosurveillée de France : CSU inauguré en mars 2010, première “hypervision” municipale, et un parc passé de ~220 caméras en 2008 à >4 300 en 2025 (avec +300 prévues en 2025) — soit un maillage record confirmé par le classement national 2020 qui plaça Nice n°1 (≈2 600 caméras pour 346 000 habitants) et par les bilans municipaux successifs (4 090 caméras fin 2022). Le déploiement a réellement accéléré sous Christian Estrosi à partir de 2008, après une première vague 2007-2009 (au moins 224 caméras) ; aujourd’hui, le CSU agrège aussi 1 050 caméras de tram et un réseau mixte fixe/nomade. Côté industriels, Nice n’indique pas un “installateur unique” mais un écosystème de fournisseurs : hyperviseur AppVision (Prysm), analyses vidéo BriefCam (technologie d’origine israélienne, rachetée depuis par Canon), Evitech, Digital Barriers et StereoLabs, ainsi que des caméras AXIS — le tout décrit dans les marchés publics de maintenance et d’évolution du “Système de vidéoprotection intelligent”. Historiquement, des solutions Verint (groupe américano-israélien) ont aussi été mentionnées dans des documents techniques sur des lots IP plus anciens.
Paris, de son côté, a commencé à se doter d’un vaste réseau de caméras de vidéosurveillance à partir de 2010, dans le cadre du Plan de Vidéoprotection pour Paris (PVPP) initié sous la présidence de Nicolas Sarkozy et piloté par la préfecture de police de Paris (PP). Ce plan, lancé officiellement par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Brice Hortefeux, visait l’installation de 1 000 caméras publiques avant 2012. En réalité, ce chiffre a été largement dépassé : plus de 1 100 caméras étaient opérationnelles dès 2012, réparties sur les points sensibles (gares, places, zones touristiques, axes routiers). L’objectif initial, fixé à 1 226 caméras, a été atteint dès 2013, puis élargi par un second programme à 3 400 unités au total en 2015, selon la préfecture de police.
Depuis, le parc n’a cessé de croître. En 2020, Paris comptait environ 4 000 caméras relevant du réseau de la préfecture de police et de la Ville de Paris, couvrant la voie publique, les bâtiments municipaux et les axes de circulation. En 2023, le chiffre s’élève à 4 055 caméras installées sur 1 475 sites, selon les données de BFMTV et de la préfecture. Ce total inclut environ 900 caméras dédiées à la vidéo-verbalisation (stationnement, circulation sur les voies de bus, pistes cyclables) et plus de 3 000 caméras fixes de surveillance générale. Les Jeux olympiques de 2024 ont entraîné un nouveau plan d’extension, avec 400 caméras supplémentaires prévues d’ici 2026, portant le total à près de 4 500 dispositifs.
Selon plusieurs sources spécialisées (dont Technopolice et La Quadrature du Net), certains modules d’analyse vidéo expérimentés à Paris — notamment des systèmes de reconnaissance faciale et de détection comportementale testés en 2019 lors de projets pilotes — auraient été basés sur des solutions importées d’Israël, comme celles de BriefCam (logiciel d’analyse vidéo développé à Jérusalem, racheté depuis par Canon en 2018). D’autres sociétés israéliennes, telles que Verint Systems, anciennement spécialisées dans le renseignement et la surveillance urbaine, ont également été mentionnées dans des appels d’offres européens auxquels la France a participé au début des années 2010, bien qu’aucun contrat direct n’ait été officiellement communiqué pour la capitale.
Si la Ville de Paris met en avant un usage “encadré” et “non intrusif”, la réalité est celle d’un réseau tentaculaire où plus de 4 000 caméras scrutent quotidiennement l’espace public, tandis que la frontière entre sécurité et surveillance algorithmique devient de plus en plus floue.
À Paris, même si les bilans globaux peuvent masquer des différences locales, certaines catégories d’infractions enregistrent une progression nette. Le rapport du SSMSI 2024 note une hausse de 7 % des tentatives d’homicide, avec 4 305 cas relevés. Les violences sexuelles continuent de grimper : +7 % pour l’ensemble des violences sexuelles, +9 % pour les viols et tentatives de viol (≈ 46 300 cas) en 2024. On observe aussi une forte augmentation des infractions liées aux stupéfiants : l’usage de drogues a bondi de +10 %, le trafic de +6 %. Enfin, les escroqueries / fraudes aux moyens de paiement atteignent 412 000 victimes en 2024, un palier élevé.
À Nice / dans le département des Alpes-Maritimes (06), les données localisées sont moins riches, mais plusieurs faits ressortent. D’après Nice Matin, le nombre de dépôts de plainte par habitant est passé de 6,5 pour 1 000 habitants en 2016 à 7,8 pour 1 000 en 2021, ce qui suggère une augmentation de la délinquance “signalée”. Dans la même veine, selon le guide des démarches du 06 pour 2021, les cambriolages de logements ont connu une hausse (1426 faits, 6,138 pour mille habitants), ainsi que les coups et blessures volontaires (2 814 cas, 8,193 pour mille). Enfin, dans le département, les homicides dépassent la moyenne nationale : entre 2022 et 2023, les Alpes-Maritimes ont vu un nombre de meurtres plus élevé que prévu pour leur taille démographique, avec 14 % des homicides (136 victimes) classés comme violences volontaires sans intention de donner la mort.
Ces chiffres dessinent un paysage inquiétant : à Paris, des affaires graves — tentatives d’homicide, violences sexuelles, trafic de stupéfiants, fraudes — progressent de manière structurelle. À Nice, l’augmentation des plaintes, des violences et des cambriolages locaux interpelle, même si les données sont fragmentaires. Pour ton article, tu pourras insister sur ce contraste : à Paris, les phénomènes les plus sensibles (viol, tentative d’homicide, drogue) prennent de l’ampleur, tandis qu’à Nice la progression se manifeste surtout via les plaintes « de proximité » (violences, cambriolages).
Depuis le début des années 2010, les recettes issues du stationnement payant ont littéralement explosé dans les grandes villes françaises, à commencer par Paris et Nice. À Paris, le système de stationnement a longtemps reposé sur un modèle mixte : d’un côté les redevances payées par les automobilistes, de l’autre les amendes de stationnement impayé fixées à 17 euros et reversées à l’État, qui en redistribuait une petite part à la Ville. En 2010, selon les comptes administratifs municipaux, ces recettes ne dépassaient guère les 100 millions d’euros. En 2015, elles atteignaient environ 120 millions, selon un rapport de la Cour des comptes régionale, avant de redescendre légèrement à 110 millions en 2017, dernière année avant la réforme du Forfait Post-Stationnement (FPS). Cette réforme, mise en place en 2018, a tout changé : la Ville de Paris est devenue seule gestionnaire du stationnement payant et a pu fixer elle-même le montant du FPS et encaisser l’intégralité du produit. Résultat immédiat : les recettes ont triplé en un an, passant de 110 millions à environ 300 millions d’euros en 2018, selon Le Parisien. Depuis, la courbe ne cesse de grimper. En 2020, la capitale encaissait 315 millions d’euros, et en 2023, les comptes administratifs font état de 337,5 millions d’euros, un record absolu. Autrement dit, en treize ans, Paris a vu ses recettes de stationnement progresser de plus de 230 %, devenant l’une de ses principales ressources non fiscales. Cette explosion s’explique par la décentralisation du FPS, mais aussi par l’externalisation des contrôles confiés à des sociétés privées, par l’élargissement du stationnement payant aux deux-roues motorisés et par une politique tarifaire plus stricte et plus homogène dans tous les arrondissements.
À Nice, la dynamique est similaire, bien qu’à une échelle plus modeste. En 2010, les recettes liées au stationnement rapportaient environ trois millions d’euros à la municipalité, d’après les documents budgétaires de la métropole. Cinq ans plus tard, elles s’établissaient autour de quatre millions. Puis, à partir de 2018, avec la mise en place du Forfait Post-Stationnement, les recettes ont grimpé à six ou sept millions d’euros. En 2023, selon TF1 Info et Nice-Matin, la Ville perçoit désormais près de dix millions d’euros grâce au FPS, pour un montant forfaitaire fixé à 25 euros. Comme à Paris, cette hausse résulte moins d’une augmentation du nombre de places que d’un renforcement de la surveillance et d’une extension des zones payantes autour du centre-ville.
En comparaison, les chiffres sont éloquents : à Paris, les recettes de stationnement sont passées d’environ 100 millions en 2010 à 337 millions en 2023 ; à Nice, de trois millions à dix millions sur la même période. Dans les deux cas, les recettes ont été multipliées par plus de trois. Ce basculement illustre un changement profond dans la manière dont les grandes villes gèrent leur espace public : le stationnement n’est plus seulement un outil de régulation de la circulation, mais une véritable ressource budgétaire. Ce qui relevait autrefois du simple paiement horaire est devenu une manne financière stable, stratégique et indolore politiquement. Pour les mairies, chaque place de stationnement est désormais un revenu potentiel, chaque caméra un collecteur passif, et chaque automobiliste un contribuable mobile.
Depuis 2010, les effectifs policiers à Paris et à Nice ont connu des trajectoires opposées à celles des systèmes de surveillance électronique, révélant une évolution profonde du modèle de sécurité publique en France. À Paris, la Préfecture de police comptait environ 30 000 policiers en 2010, un effectif qui a légèrement diminué au fil de la décennie en raison des politiques d’austérité et des départs non remplacés. Entre 2009 et 2011, environ 400 postes ont été supprimés dans les commissariats d’arrondissement, tandis que plusieurs réorganisations internes ont resserré les moyens de terrain. En parallèle, le lancement du Plan de Vidéoprotection pour Paris (PVPP), initié par Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux en 2010, a profondément transformé le paysage sécuritaire de la capitale. Ce plan a permis l’installation de plus de 1 200 caméras dès 2012, puis environ 4 000 en 2023, couvrant les grands axes, les lieux publics, les transports et les zones touristiques. Autrement dit, la baisse ou la stagnation des effectifs humains a été compensée par la montée en puissance des yeux électroniques.
La création tardive de la police municipale parisienne en 2021, forte aujourd’hui d’environ 2 000 agents, n’a pas inversé la logique : ces nouveaux agents assurent avant tout des missions de tranquillité publique, de verbalisation et de supervision du réseau de caméras, bien plus que des missions d’enquête ou d’intervention.
À Nice, la substitution entre la présence humaine et la vidéosurveillance est encore plus visible. Selon Nice Presse et les rapports préfectoraux, la ville a perdu près de 180 policiers nationaux depuis 2010, soit une baisse de 15 % des effectifs d’État. Le commissariat central d’Auvare, qui comptait environ 830 agents en 2010, en dénombre désormais un peu moins de 750. En revanche, la municipalité a considérablement renforcé sa police municipale, passée de 300 à environ 550 agents en dix ans, et revendique aujourd’hui la première place nationale en effectifs municipaux. Mais ce renfort humain s’accompagne surtout d’une explosion technologique : Nice est devenue la ville la plus vidéosurveillée de France, avec plus de 4 300 caméras en 2025, contre à peine 200 au début des années 2010. Le Centre de Supervision Urbain (CSU), inauguré en 2010, s’est imposé comme une véritable tour de contrôle de la ville, supervisant le trafic, les espaces publics, les tramways et les zones piétonnes en temps réel. La municipalité assume cette stratégie : moins de policiers d’État sur le terrain, mais une surveillance continue par l’image.
Ces deux trajectoires illustrent la même tendance : la technologie a progressivement remplacé la présence humaine. Entre 2010 et 2025, le nombre de caméras a été multiplié par 20 à Nice et par 4 à Paris, tandis que les effectifs de terrain stagnaient ou diminuaient. Les élus présentent cette évolution comme une “modernisation de la sécurité”, mais dans les faits, elle traduit un basculement : la sécurité n’est plus assurée par la proximité, la patrouille ou la dissuasion physique, mais par une surveillance centralisée, continue et algorithmique. Les villes françaises ont troqué l’œil du policier pour celui de la caméra, transformant la vigilance humaine en flux de données. Moins d’agents dans les rues, plus d’écrans dans les centres de supervision : telle est la nouvelle équation de la sécurité urbaine.
La politique sécuritaire menée depuis quinze ans à Paris comme à Nice illustre une contradiction devenue emblématique du modèle français : moins d’humains, plus de machines. En privilégiant la multiplication des caméras et la centralisation des images plutôt que la présence de policiers sur le terrain, les autorités locales et nationales ont fait le pari d’une sécurité “augmentée”, prétendument plus efficace, plus rationnelle, plus moderne. Dans les faits, cette stratégie a surtout transformé la sécurité publique en une gestion numérique des comportements. Les centres de supervision urbaine sont devenus les nouveaux commissariats, et les opérateurs derrière les écrans ont remplacé les patrouilles dans les rues. Pourtant, malgré cette surveillance omniprésente, les crimes les plus graves — violences, viols, trafics, escroqueries — continuent d’augmenter, comme le montrent les bilans du ministère de l’Intérieur. Les caméras enregistrent tout, mais n’empêchent rien. Elles permettent de reconstituer, pas de prévenir.
Ce glissement technologique s’accompagne d’une dérive silencieuse : la surveillance n’est plus seulement un instrument de sécurité, mais aussi un outil fiscal déguisé. Les systèmes de vidéoverbalisation se sont multipliés, transformant chaque carrefour en guichet automatique et chaque automobiliste en contribuable mobile. À Paris, le stationnement rapporte aujourd’hui plus de 330 millions d’euros par an, soit trois fois plus qu’au début des années 2010 ; à Nice, ces recettes ont été multipliées par trois également. Sous couvert de sécurité, la vidéosurveillance est devenue une source majeure de revenus municipaux. La caméra, censée protéger, est désormais un agent de contrôle économique.
En définitive, la promesse de “sécurité renforcée” s’est muée en une réalité paradoxale : plus de caméras, mais pas plus de sûreté. Le citoyen n’est plus accompagné ni protégé, il est observé et sanctionné. Derrière la modernité technologique se cache un changement de paradigme : l’État se retire du terrain, les communes investissent dans les écrans, et la société s’habitue à être surveillée au nom de sa propre protection. C’est la victoire du regard sur la présence, du signalement sur la prévention, du contrôle sur la confiance.
Sources :
Préfecture de police de Paris, SSMSI, Cour des comptes, Ville de Paris, Nice-Matin, Le Monde, CGLPL 2024.)