Héroïne de la démocratie ou pion de la globalisation ?

María Corina Machado, lauréate du Prix Nobel de la Paix 2025, est souvent présentée comme une figure de proue de la lutte pour la démocratie au Venezuela. À la tête de Vente Venezuela, elle incarne pour certains un espoir de changement dans un pays ravagé par une crise économique et politique. Pourtant, ses liens étroits avec des milliardaires, des organisations comme la National Endowment for Democracy (NED) et des lobbies étrangers soulèvent une question cruciale : son combat pour la « démocratie » sert-il les Vénézuéliens ou un agenda globalisé visant à remodeler le pays au profit d’élites internationales ?

Une carrière au service d’un projet controversé

Née en 1967 à Caracas dans une famille aisée, María Corina Machado, ingénieure industrielle diplômée de Yale, s’engage en politique avec une vision ultralibérale, prônant le libre marché et l’ouverture aux investissements étrangers. En 2002, elle cofonde Súmate, une ONG officiellement dédiée à la transparence électorale, mais rapidement accusée d’être un outil de contestation du président Hugo Chávez. Le gouvernement vénézuélien pointe du doigt des financements massifs de la NED et de l’USAID, des organisations liées à la CIA et à des « philanthropes » comme George Soros (Open Society Foundations) et à des intérêts pétroliers américains. En 2005, Machado est poursuivie pour « financement électoral illégal », une affaire qui, loin de la discréditer, accroît sa notoriété tout en alimentant les accusations d’ingérence étrangère.

Élue députée en 2010, elle fonde Vente Venezuela en 2012, un parti prônant des réformes économiques radicales et un discours hostile au régime chaviste. En 2014, son soutien aux manifestations des « guarimbas », parfois violentes, conduit à sa disqualification politique par le gouvernement Maduro en 2015. Malgré cette interdiction, elle remporte plus de 90 % des voix aux primaires anti-gouvernementales de 2023, renforçant son image de leader, bien qu’exclue des élections de 2024. Derrière cette ascension, ses soutiens financiers internationaux interrogent sur l’indépendance réelle de son mouvement.

Le Prix Nobel de la Paix 2025 : Une légitimation contestée

En octobre 2025, le comité Nobel récompense Machado pour son « combat pour la démocratie et les droits humains ». Cette distinction met en lumière sa mobilisation contre le régime Maduro et son discours « en faveur d’un État de droit ». Son plan économique, présenté en 2025 au Council of the Americas (AS/COA, fondé par David Rockefeller), promet « un trillion de dollars d’opportunités » via des investissements étrangers dans l’énergie et les infrastructures, séduisant des acteurs économiques mondiaux.

Cependant, ce Nobel est perçu par beaucoup comme un outil de légitimation des élites globalisées. Le comité Nobel, souvent critiqué pour ses choix politiques, semble cautionner une vision du Venezuela comme futur hub économique pour les multinationales, au détriment de sa souveraineté. Le gouvernement Maduro dénonce une « manipulation impérialiste », accusant Machado de servir des intérêts étrangers visant à « recoloniser » le pays sous couvert de démocratie.

Appel controversé à Netanyahou

En 2018, María Corina Machado a franchi une étape controversée en adressant une lettre ouverte à Benjamin Netanyahou, alors Premier ministre d’Israël, l’appelant à user de son « influence » pour « démanteler le régime criminel » de Nicolás Maduro. Invoquant la doctrine de la « responsabilité de protéger », elle a explicitement sollicité une intervention internationale, potentiellement militaire, via le Conseil de sécurité de l’ONU. Cette démarche, révélée en 2024 par des médias comme Misión Verdad, a renforcé les accusations d’ingérence étrangère portées contre elle.

Son alignement avec Netanyahou, consolidé en 2020 par un accord de collaboration avec le parti Likoud, illustre une dépendance stratégique envers des acteurs internationaux puissants, perçue comme une tentative de substituer la souveraineté vénézuélienne à des agendas géopolitiques globalisés.

Cet épisode, loin de refléter un combat purement démocratique, alimente les soupçons d’une opposition instrumentalisée par des forces extérieures.

Soutiens milliardaires : L’ombre de la globalisation

Les activités de Machado s’appuient sur un réseau de financements opaques, révélateurs d’un agenda globalisé. Súmate aurait reçu des millions de dollars via le NED et l’USAID, des instruments bien connus du soft power américain, souvent liés à des philanthropes comme Soros ou à des intérêts pétroliers. Une enquête de la journaliste brésilienne Patricia De Oliveira (2024) allègue que Machado a bénéficié de 3,2 millions USD d’un lobby américain (Howard Stirk Holdings) pour favoriser Chevron dans l’exploitation de PDVSA, joyau économique du Venezuela. Des sources proches du gouvernement, comme Misión Verdad, mentionnent également des dons de figures vénézuéliennes fortunées, telles que Nelson Mezerhane (ex-banquier, fortune estimée à des centaines de millions) et Juan Carlos Escotet (PDG de Banesco, fortune dépassant 1 milliard USD). Bien que ces accusations manquent parfois de preuves publiques, elles alimentent un débat brûlant.

Entre 2023 et 2025, Machado attire l’attention de milliardaires internationaux, renforçant les soupçons d’ingérence :

  • Elon Musk : En juillet 2024, le PDG de Tesla et SpaceX (fortune estimée à 350 milliards USD) exprime son soutien à Machado sur X, la qualifiant de « leader pour un avenir meilleur ». Machado répond en promettant d’ouvrir le Venezuela aux investissements globaux, notamment dans l’énergie, un secteur stratégique pour Tesla et SpaceX. Ce soutien, perçu comme une tentative de transformer le Venezuela en un terrain d’expérimentation pour les multinationales, est dénoncé comme une menace à la souveraineté nationale.
  • Richard Branson : En septembre 2024, le fondateur de Virgin Group (fortune ~3 milliards USD) offre une plateforme médiatique et logistique à Machado, qualifiant son combat de « cause mondiale pour la liberté ». Cette rhétorique, applaudie par certains, est vue par le gouvernement comme un paravent pour imposer un modèle économique globalisé.
  • Lobbies et diaspora : Des fonds de la diaspora vénézuélienne aisée, comme ceux liés à Gustavo Lainette en Floride (35 000 USD en 2023), s’ajoutent à ces soutiens, illustrant une convergence d’intérêts entre élites locales et globales.

Ces financements, présentés par les partisans de Machado comme nécessaires pour une lutte démocratique, sont dénoncés comme une tentative de « recolonisation économique ». Sur la toile, les avis divergent : certains saluent Musk et Branson comme des gages d’investissements futurs, tandis que d’autres y voient une instrumentalisation de la démocratie au service d’intérêts étrangers.

Une figure au cœur de la polarisation

María Corina Machado incarne un paradoxe : celle d’une figure présentée comme une libératrice, mais dont les soutiens internationaux trahissent un agenda globalisé. Ses liens avec la NED, Musk, Branson ou des lobbies pétroliers remettent en question l’indépendance de son mouvement. Si ses partisans défendent un pragmatisme pour reconstruire un pays en crise, ses détracteurs dénoncent une dépendance aux élites globales, utilisant comme toujours la « démocratie » comme un levier pour ouvrir le Venezuela aux marchés internationaux.

En 2025, alors que le Venezuela reste dans une impasse politique, le Nobel de Machado amplifie sa voix, mais les accusations d’ingérence persistent. Son combat, sous couvert de démocratie, risque de servir un projet de globalisation qui sacrifie la souveraineté vénézuélienne sur l’autel des intérêts étrangers.

Sources :

  • EL PAÍS, Reuters, Forbes, Venezuelanalysis, The Grayzone.
  • Déclarations officielles du comité Nobel (octobre 2025).
  • Rapports de la NED et enquêtes de Misión Verdad.