Alors que le Soudan s’enfonce dans une spirale de violence et d’atrocités, avec des accusations croissantes de génocide portées contre les Forces de Soutien Rapide (FSR) dans le Darfour, une vague de dénonciations émerge soudainement, notamment de la part de certaines personnalités pro-sionistes. Si leur indignation face aux massacres et aux souffrances des civils est louable en théorie, elle soulève des questions troublantes lorsqu’on examine le timing et les omissions qui l’accompagnent. Derrière ces discours, se profile une instrumentalisation politique qui détourne l’attention des responsabilités complexes, y compris celle d’un acteur israélien impliqué dans la fourniture de technologies de surveillance sophistiquées aux milices soudanaises. Il est temps de dévoiler cette hypocrisie et de recentrer le débat sur les victimes, plutôt que sur les agendas géopolitiques.
Une indignation sélective et synchronisée
Depuis octobre 2025, des voix influentes, notamment dans les cercles pro-sionistes, ont commencé à dénoncer la crise au Soudan, qualifiant les actes des FSR de génocide et déplorant l’indifférence supposée de la communauté internationale – souvent avec une pique implicite suggérant que l’attention mondiale ne se porte que sur les conflits impliquant Israël. Cette soudaine prise de parole coïncide avec les rapports de l’ONU sur les massacres d’El Fasher et les sanctions américaines contre le leader des FSR, Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti), annoncées le 7 janvier 2025. Si la gravité de la situation – avec plus de 2 000 civils tués et des dizaines de milliers de déplacés – mérite une attention urgente, ce timing synchronisé suscite des soupçons.
Cette mobilisation semble moins motivée par un altruisme pur que par une stratégie diplomatique ou médiatique. Les États-Unis, alliés d’Israël, ont poussé pour des mesures contre les FSR, et des figures pro-sionistes pourraient chercher à aligner leurs discours sur cette ligne pour renforcer la légitimité d’Israël sur la scène internationale, tout en détournant l’attention des critiques internes, notamment sur l’utilisation controversée de technologies de surveillance par l’État hébreu. Cette sélectivité est d’autant plus frappante que d’autres crises humanitaires, comme au Yémen ou en Éthiopie, reçoivent bien moins d’écho de la part de ces mêmes acteurs.
Le détail occulté : une responsabilité israélienne indirecte
Ce qui rend cette instrumentalisation particulièrement cynique, c’est l’omission d’un fait crucial révélé par une enquête de Haaretz en novembre 2022 : Tal Dilian, un ancien officier des forces de défense israéliennes et dirigeant de la société Intellexa, a utilisé un jet privé pour transporter des logiciels espions européens sophistiqués vers les FSR entre avril et août 2022. Ces technologies, capables de pirater des téléphones et de traquer des individus, auraient pu amplifier les capacités répressives de la milice, facilitant potentiellement les campagnes de nettoyage ethnique documentées aujourd’hui au Darfour.
Cette implication n’est pas une politique officielle d’Israël, mais elle met en lumière les dérives d’une industrie de la surveillance où des acteurs privés, parfois liés à des réseaux militaires israéliens, opèrent dans un vide réglementaire. Pourtant, les personnalités qui s’indignent aujourd’hui de la crise soudanaise taisent ce lien, peut-être par ignorance ou par calcul. Mentionner Dilian risquerait de fragiliser leur narrative morale, révélant une contradiction entre leur dénonciation des atrocités et la contribution indirecte d’un compatriote à l’armement technologique des bourreaux.
Les victimes, otages d’un jeu géopolitique
L’instrumentalisation de la crise soudanaise ne fait qu’aggraver la souffrance des populations prises au piège. Les rapports de l’ONU, datés d’octobre 2025, décrivent des massacres ciblant des groupes ethniques non arabes, des viols systématiques et un siège humanitaire à El Fasher. Si les technologies fournies par Dilian ont été utilisées, elles pourraient avoir permis aux FSR de coordonner ces atrocités avec une précision accrue, transformant des outils de renseignement en armes de génocide, selon la définition de la Convention des Nations Unies.
Plutôt que de servir les victimes, ces dénonciations sélectives servent des agendas politiques. Elles permettent à certains de se poser en défenseurs des droits humains tout en occultant les complicités internationales – qu’elles viennent d’Israël, de l’UE (qui a exporté ces technologies) ou d’autres acteurs comme la Russie, via le groupe Wagner. Cette hypocrisie détourne les efforts nécessaires pour une intervention humanitaire réelle et une justice internationale, notamment via la Cour pénale internationale (CPI), qui enquête à nouveau sur le Darfour.
Un appel à la transparence
Il est impératif de mettre fin à cette instrumentalisation. Les Soudanais méritent que leur drame soit abordé avec intégrité, sans être réduit à un pion dans des rivalités géopolitiques. Cela commence par reconnaître toutes les responsabilités, y compris celle de Tal Dilian et de l’industrie de la surveillance européenne. Les gouvernements, les ONG et les médias doivent exiger une enquête transparente sur l’origine de ces technologies et leurs usages, tout en pressant la CPI d’accélérer les poursuites contre les responsables des atrocités, qu’ils soient soudanais ou internationaux.
Enfin, aux voix qui s’élèvent aujourd’hui, on doit demander cohérence et courage : dénoncer un génocide implique de regarder en face toutes les complicités, même celles qui dérangent. Sinon, ces cris d’indignation risquent de rester des paroles en l’air, laissant les victimes du Soudan dans l’oubli – ou pire, dans l’ombre d’un jeu politique qui les trahit une fois de plus.