Quand un service public croule sous les critiques, perd ses jeunes téléspectateurs, et ne convainc plus que 70% d’inactifs, il reste une solution miracle : un bon vieux plan de « transformation numérique ». C’est le dernier tour de passe-passe en date de France Télévisions, que l’Inspection générale des finances (IGF) vient de bénir d’un rapport de 100 pages — façon PowerPoint gouvernemental — pour annoncer un lifting numérique à 200 millions d’euros. Mais derrière ce jargon technocratique, que cache vraiment ce « plan de modernisation » ? Une tentative sincère de s’adapter à son époque, ou une manœuvre pour contrôler plus efficacement l’opinion publique à l’ère du numérique ?

Un constat : France Télévisions décroche. Et ce n’est pas qu’une image.

Depuis 10 ans, les audiences linéaires s’effondrent. L’âge moyen du téléspectateur de France 2 ? 62 ans. Pour France 3 ? 65,6 ans. Quant aux jeunes de moins de 30 ans, ils ne regardent pratiquement plus la télévision publique. Ils ont fui vers YouTube, TikTok, Telegram… bref, là où l’on trouve encore des points de vue non formatés.

Résultat : France Télévisions, c’est 8 900 salariés, 3 milliards de budget, et des parts d’audience en déclin. L’entreprise est massivement subventionnée (2,6 milliards d’euros d’argent public en 2024), et pourtant, elle avoue un besoin de financement de… 200 millions d’euros d’ici 2028. Oui, malgré une hausse du budget public de +10 % sur cinq ans.

Mais où passe l’argent ?

La grande fuite en avant numérique

La solution ? Miser tout sur le numérique. 148 millions d’euros pour créer des « plateformes attractives » censées reconquérir les jeunes. On parle de « sanctuariser » les budgets, de produire du contenu natif pour les réseaux sociaux, d’inonder TikTok et Instagram de vidéos bien-pensantes… C’est-à-dire de réinventer l’ORTF, mais avec des filtres Snapchat.

Derrière ce virage, une volonté de « rajeunir » les audiences, certes, mais aussi de reprendre le contrôle sur les nouvelles arènes de débat public. Car là où l’État ne peut plus imposer son message via la télévision, il entend le faire via les algorithmes, les influenceurs subventionnés, les partenariats avec les grandes plateformes… ou en injectant directement ses narratifs dans les fils d’actualité.

Un service public « à tous », ou pour quelques-uns ?

Officiellement, France Télévisions et Radio France veulent « parler à tous », créer « du commun », lutter contre « l’archipélisation de la société ». En réalité, leurs programmes sont devenus des catéchismes progressistes, déconnectés de la majorité silencieuse, et rivés sur des obsessions de minorités.

La ligne éditoriale de Franceinfo ? Toujours plus de sujets sur le climat, le genre, le vivre-ensemble, l’Europe fédérale, la bienveillance d’Emmanuel Macron ou les « dangers des fake news ». Et surtout, aucune remise en cause du pouvoir, de ses échecs, de ses collusions. Résultat : les jeunes désertent, les classes populaires ne s’y reconnaissent plus, et les classes moyennes changent de crémerie.

La fusion France 3 / France Bleu : un média de proximité… sous pilotage central ?

Depuis 2018, un projet baptisé « ICI » tente de fusionner France 3 (télé régionale) et France Bleu (radio locale) en un média unique de proximité. Huit ans plus tard, toujours rien. Pourquoi ? Parce que ce projet est moins un service de terrain qu’un laboratoire de centralisation.

La mission IGF propose désormais de tout fusionner : locaux communs, journalistes polyvalents, ligne éditoriale unifiée. Objectif ? Mutualiser, standardiser, rationaliser… et, à terme, verrouiller. Fini les rédactions indépendantes en régions : place à un réseau national déguisé en média local.

Franceinfo : bientôt un Ministère de la Vérité ?

Autre chantier phare : franceinfo. L’IGF recommande unification totale radio-TV-web, un directeur unique, un déménagement dans des locaux communs, et surtout : la création d’une agence commune de vérification de l’information.

Traduction : un organe centralisé pour trier le vrai du faux… selon les standards de l’État.

Rappelons que Radio France possède déjà une cellule de « fact-checking » — qui fait systématiquement office de bouclier pour les positions gouvernementales. L’idée de la dupliquer à l’échelle intergroupes ressemble davantage à une arme de guerre idéologique qu’à un outil d’information.

L’intelligence artificielle au service de la propagande ?

Dans un passage presque surréaliste, le rapport recommande de développer « l’intelligence artificielle générative » dans les métiers de l’audiovisuel public. Objectif : créer plus de contenus, plus vite, avec moins d’humains.

Le rêve ultime : des vidéos générées par IA, des animateurs virtuels, des sujets fabriqués à la chaîne — calibrés pour le SEO, diffusés en boucle sur les plateformes… et validés en amont par l’algorithme moral de l’État.

Une machine à normaliser, financée par vos impôts

Au total, 155 millions d’euros d’aides supplémentaires (via le PIT — Programme Incitatif de Transformation) viendront s’ajouter aux subventions pour accompagner ce virage. Pendant ce temps, les médias alternatifs sont harcelés, déréférencés, supprimés des réseaux sociaux, privés de financement… et accusés de désinformation.

La double stratégie est claire : censurer les voix dissidentes et surfinancer les voix dociles.

Conclusion : et si le public choisissait vraiment ses médias ?

La transformation de France Télévisions et Radio France n’est pas une modernisation, c’est une mutation politique. Ce qui est en jeu, ce n’est pas l’innovation technologique, mais le contrôle de la narration nationale à l’ère numérique.

À l’heure où les citoyens s’informent ailleurs, où la parole se libère en ligne, le pouvoir tente de réoccuper le terrain, en déguisant sa stratégie de contrôle en projet de « service public numérique ». Mais les masques tombent, et le public n’est plus dupe.

Contre7 continuera de dénoncer les simulacres, de traquer les manipulations, et de défendre l’émergence d’un véritable pluralisme médiatique.

Lire le rapport d’Accompagnement à la transformation de France Télévisions et Radio France