En pleine guerre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky vient d’ouvrir un nouveau front. Mais cette fois, ce n’est ni contre la Russie, ni contre les oligarques. C’est contre… les agences chargées de lutter contre la corruption. Dans une manœuvre passée presque sous silence dans les médias occidentaux, il a signé une loi qui affaiblit gravement l’indépendance des institutions créées pour garantir la transparence des élites politiques et l’intégrité de l’État. L’opposition est immédiate, massive. Mais les implications vont bien au-delà d’un simple texte de loi : elles remettent en cause la crédibilité du projet européen de l’Ukraine.

Deux noms sont au cœur de cette affaire : la NABU (Bureau national de lutte contre la corruption) et la SAPO (Parquet spécialisé anticorruption). Ces deux structures sont nées dans la foulée de la Révolution de Maïdan en 2014, alors que l’Ukraine, minée par des décennies de corruption endémique, tentait de rassurer ses partenaires occidentaux en mettant en place des garde-fous. Leur mission : enquêter sur les crimes économiques des plus hauts responsables du pays, y compris au sein de l’appareil politique et militaire. En clair, la NABU était un contre-pouvoir redouté.

Mais redouté par qui ? Par les élites ukrainiennes elles-mêmes. Depuis des années, des députés, des juges, des membres de l’administration tentent de freiner, contourner ou discréditer ces agences. Les réformes étaient souvent superficielles, les soutiens à l’étranger tièdes, mais la façade tenait. Jusqu’à aujourd’hui.

Le 22 juillet, Volodymyr Zelensky promulgue une loi qui soumet la NABU et la SAPO au contrôle du Bureau du Procureur général, une institution directement sous l’autorité présidentielle. Officiellement, il s’agirait de « renforcer la coordination » et de « lutter contre les influences étrangères ». En réalité, c’est un basculement clair vers la centralisation autoritaire.

Les agences ne pourront plus enquêter librement sur les proches du pouvoir. Les nominations deviennent politiques. L’immunité présidentielle est de facto étendue à ses réseaux. Une ligne rouge est franchie.

Le lendemain, des milliers d’Ukrainiens descendent dans les rues de Kyiv et d’autres grandes villes. Les manifestants dénoncent une « trahison des idéaux de Maïdan » et un « retour à l’Ukraine d’avant 2014 ». Dans le même temps, la Commission européenne, le G7 et plusieurs chancelleries occidentales font part de leur inquiétude.

L’enjeu est majeur : l’Union européenne a déjà versé plus de 80 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine depuis février 2022, en plus du soutien militaire. L’adhésion de l’Ukraine à l’UE, actuellement en cours, repose sur le respect de principes fondamentaux, dont l’État de droit et l’indépendance de la justice. Cette réforme pourrait tout faire capoter.

Face à la pression, Zelensky annonce dès le 23 juillet un projet de loi pour « corriger » le texte. Il promet de restaurer une partie de l’indépendance de la NABU et de la SAPO. Mais le mal est fait. Le directeur de la NABU, Semen Kryvonos, déclare publiquement que son agence fait face à une campagne de discrédit orchestrée, visant à neutraliser ses enquêtes sensibles. Il parle de sabotage.

Les ONG ukrainiennes, comme NAKO (Comité consultatif indépendant sur la défense), dénoncent quant à elles l’opacité des dépenses publiques, en particulier dans le domaine militaire. Plusieurs cas de détournement de fonds étrangers n’ont jamais été traduits devant les tribunaux, et certaines enquêtes auraient été classées sans suite par des procureurs proches du pouvoir.

Ce qui se dessine, ce n’est pas seulement une réforme technique. C’est la mise sous tutelle de tous les contre-pouvoirs. Le parlement ukrainien est déjà dominé par le parti présidentiel. Les médias critiques sont sous pression depuis 2022, plusieurs chaînes ayant été suspendues au nom de la sécurité nationale. Les opposants politiques sont marginalisés, certains assignés à résidence ou accusés de collusion avec l’ennemi.

Le démantèlement des agences anticorruption complète ce tableau. Un pouvoir fort, centralisé, protégé, et alimenté par des flux d’argent internationaux dont la traçabilité devient de plus en plus floue.

L’hypocrisie occidentale est palpable. Les mêmes dirigeants qui conditionnent l’aide à la « lutte contre la corruption » se gardent bien de couper les robinets. Car l’Ukraine n’est pas seulement un allié stratégique contre la Russie : elle est aussi un vaste marché, une porte d’entrée pour les multinationales, et une zone d’expérimentation pour des politiques économiques ultralibérales imposées sous condition.

Zelensky, devenu intouchable dans le récit médiatique occidental, est en réalité en train de modeler un pouvoir vertical, sans contrepoids, à l’abri de toute critique grâce à la guerre.

Il y a une question que personne n’ose poser à Bruxelles ou à Paris : peut-on soutenir indéfiniment un régime qui se coupe volontairement de ses propres mécanismes de contrôle ? Peut-on continuer à transférer des milliards à un État dont les agences anticorruption sont muselées ?