Scott Bessent et Donald Trump

    Une croisade en trompe-l’œil

    Donald Trump a fait de la lutte contre le « deep state » le fer de lance de sa carrière politique. Promettant de « drainer le marais » et de déloger les élites qui, selon lui, gangrènent Washington, il a galvanisé ses électeurs en 2016, 2020 et 2024 avec des discours enflammés contre les « globalistes » et les barons de Wall Street. Pourtant, en janvier 2025, sa nomination de Scott Bessent, un financier chevronné ayant bâti sa fortune auprès de George Soros, au poste de secrétaire au Trésor, sonne comme un paradoxe. Comment un insider de la finance mondiale peut-il incarner la rupture promise ? Cette décision révèle que, loin d’être chassées, les élites financières s’installent confortablement au cœur de l’administration Trump.

    Scott Bessent : L’incarnation de l’élite financière

    À 62 ans, Scott Bessent n’a rien d’un outsider. Diplômé de Yale, il a forgé sa carrière dans les cercles les plus exclusifs de la finance. De 1991 à 2000, puis de 2011 à 2015, il a travaillé pour Soros Fund Management, la société de George Soros, figure détestée par la base trumpiste pour son influence libérale et ses investissements dans des causes progressistes. Bessent a brillé par des coups d’éclat financiers : en 1992, il a contribué à la crise de la livre sterling, empochant plus d’un milliard de dollars pour le fonds Soros lors du « Mercredi noir ». En 2013, il a généré 1,2 milliard en pariant contre le yen japonais. En 2015, il lance Key Square Group, son propre fonds spéculatif, avec un investissement initial de 2 milliards de dollars fourni par Soros.

    Cette connexion avec Soros a suscité des réactions d’incrédulité parmi les partisans de Trump. Bessent, bien qu’ayant rompu avec Soros en 2018, incarne tout ce que Trump prétend combattre : un produit de l’Ivy League, un habitué des conseils d’administration (comme celui de l’université Rockefeller) et un acteur clé de la finance spéculative. Sa nomination au Trésor semble indiquer que le « marais » est non seulement intact, mais qu’il a trouvé un nouvel ambassadeur.

    Le « Deep State » : Une cible rhétorique, pas une réalité

    Le « deep state », dans l’imaginaire trumpiste, est un réseau tentaculaire de bureaucrates, politiciens et financiers qui œuvrent dans l’ombre pour préserver leurs privilèges au détriment du peuple. Trump a promis de le démanteler en nommant des outsiders et en brisant l’emprise de Wall Street sur la politique. Mais ses choix racontent une autre histoire. Lors de son premier mandat, il a placé Steven Mnuchin et Gary Cohn, tous deux issus de Goldman Sachs, à des postes économiques clés. En 2025, Scott Bessent s’inscrit dans cette lignée.

    Loin d’être un inconnu, Bessent est un donateur majeur de la campagne de Trump, ayant injecté plus de 3 millions de dollars en 2024 et organisé des levées de fonds auprès de l’élite financière. Sa nomination suggère que la croisade contre le « deep state » est plus un slogan de campagne qu’un projet concret. Trump, pragmatique, s’appuie sur des insiders pour gérer une économie complexe, quitte à contredire ses promesses de rupture. Les réseaux sociaux bruissent de critiques, certains accusant Trump de « nourrir le système » qu’il dénonce.

    Bessent au Trésor : Les élites aux commandes

    En tant que secrétaire au Trésor, Scott Bessent détient les rênes des finances fédérales, des sanctions internationales et de la politique monétaire. Ses premières décisions reflètent un mélange de populisme économique et de fidélité aux intérêts de Wall Street :

    • Cryptomonnaies : Investisseur dans la finance décentralisée (DeFi), Bessent pousse pour une intégration des cryptomonnaies, alignant les États-Unis sur une vision pro-innovation prisée par les investisseurs.
    • Baisses d’impôts : Il soutient l’extension des réductions fiscales de 2017, qui profitent largement aux grandes fortunes, tout en défendant des tarifs douaniers protectionnistes.
    • Fonds souverain : Le 3 février 2025, il est chargé de créer un fonds souverain américain, une initiative qui pourrait concentrer davantage de pouvoir économique entre les mains de l’État – et des financiers qui le conseillent.

    Ces choix soulèvent des inquiétudes. Bessent, par son passé et ses réseaux, risque-t-il de privilégier les intérêts de l’élite financière au détriment des classes moyennes que Trump prétend défendre ? Son opposition à l’augmentation du salaire minimum fédéral (7,25 $/h) renforce les soupçons qu’il sert d’abord les puissants.

    Pourquoi Trump choisit Bessent ?

    Trois raisons expliquent ce choix surprenant :

    • Expertise : Dans un contexte de dettes croissantes et de tensions géopolitiques, Trump a besoin d’un financier aguerri. Bessent, avec son expérience chez Soros et Key Square, est un choix rassurant pour les marchés.
    • Loyauté : Après avoir soutenu des démocrates dans les années 2000, Bessent s’est rallié à Trump dès 2016, prouvant son engagement par des dons massifs et un rôle clé dans la campagne 2024.
    • Connexion avec Wall Street : L’agenda économique de Trump – dérégulation, baisses d’impôts – dépend du soutien des investisseurs. Bessent, par son carnet d’adresses, apaise les craintes des marchés tout en projetant une image de compétence.

    Ce pragmatisme révèle que Trump, malgré sa rhétorique incendiaire, gouverne en s’appuyant sur les élites qu’il critique publiquement. La nomination de Bessent est un aveu implicite : le système financier mondial ne peut être dirigé sans ceux qui le connaissent de l’intérieur.

    Les élites, plus fortes que jamais

    En nommant Scott Bessent, Donald Trump ouvre grand la porte aux élites financières qu’il promettait de chasser. Loin de « drainer le marais », il y installe un de ses architectes, un homme dont la carrière s’est bâtie sur les réseaux et les profits de Wall Street. Cette décision expose les limites de la croisade anti-« deep state » : une rhétorique séduisante, mais une réalité où les insiders conservent le pouvoir. Pour les électeurs espérant une révolution, la présence de Bessent au Trésor est une douche froide. Le « marais » n’a pas seulement survécu ; il prospère, avec la bénédiction de Trump.

    Sources :

    • Données biographiques et professionnelles de Scott Bessent (Soros Fund Management, Key Square, Yale).
    • Annonces officielles de la Maison-Blanche (novembre 2024 – février 2025).
    • Débats et réactions publiques sur les réseaux sociaux.